Par Jihene Aissaoui

Contrairement aux idées reçues, l’Islam ne s’est pas répandu aussi largement dans les quatre coins du monde uniquement par les conquêtes militaires. De nombreux pays aujourd’hui majoritairement musulmans, ou même ayant l’Islam pour religion officielle, n’ont jamais été conquis par la force de l’épée mais grâce aux échanges commerciaux. C’est le cas notamment de plusieurs pays sud-asiatiques et d’Afrique noire où le commerce joua un rôle prépondérant dans la diffusion de l’Islam.

Il convient tout d’abord de rappeler que cette activité dispose d’une place importante dans la religion musulmane qui incite vivement le musulman à subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. D’ailleurs, les Arabes étaient connus pour être d’excellents commerçants, et la Péninsule arabique, en particulier la Mecque pour son statut sacré, de par sa situation de carrefour, offre un accès facile vers l’Asie, l’Europe, et l’Afrique. Les marchands qui voyageaient jusqu’à la terre sacrée entendaient parler de l’islam et en transmettaient les enseignements de retour chez eux.

Avec l’avènement de l’islam, et les premières conquêtes des pays moyen-orientaux, les Musulmans purent davantage développer leur fibre commerciale et s’aventurer dans des contrées lointaines et inconnues à la recherche de denrées rares et exotiques. Les échanges commerciaux s’intensifièrent et provoquèrent des conversions en masse grâce à ces caravaniers ou marins et à leur pratique juste des préceptes de l’islam, suscitant l’admiration des populations visitées. C’est ainsi que très tôt, des mosquées commencèrent à fleurir ici et là, dans des régions qui n’étaient pas encore contrôlées politiquement parlant.

Au 8e siècle, les Musulmans dominaient la moitié occidentale de la Route de la Soie et le commerce devint le 2e facteur majeur d’expansion de l’Islam. Pour un commerçant, les bénéfices résultant d’une conversion à l’Islam étaient évidents, en particulier si l’on considère l’ampleur de la coopération et des contacts entre marchands musulmans chez eux et à l’étranger, ainsi que le fait que les lois islamiques offraient de nombreux avantages aux commerçants musulmans (les non-musulmans devaient, par exemple, payer des taxes).

De nombreux géographes arabes tels qu’al-Idrissi (1100-1165), Ibn Jubayr (1145-1217), et le célèbre Ibn Battuta (1304-1377) décrivirent les échanges entre les peuples, notamment dans l’art de la poterie et de la céramique, et plus tard le papier, la boussole, la soie etc…

En Inde, où les marchands venaient chercher les épices, les tissus luxueux et les armes, l’islam fut introduit avec les marins arabes à bord de leurs boutres (bateaux à voile). Ils établirent plusieurs comptoirs commerciaux le long des côtes indiennes dont les villes furent occupées par d’importantes communautés musulmanes, même si plusieurs royaumes indiens demeurèrent hindous. Les conversions à l’islam ne prirent pas une grande ampleur, mais les côtes indiennes servirent de tremplin aux marchands arabes pour atteindre l’Asie du Sud-Est, et notamment la Malaisie et l’Indonésie.

Cette zone représentait une escale obligatoire dans le commerce florissant dominé par les marchands musulmans. Ils furent ainsi les premiers à y introduire l’Islam car même si leur objectif premier était le commerce, ils apportaient avec eux leur religion, tout comme les marchands indiens apportaient l’hindouisme et le bouddhisme. Les populations autochtones furent séduites par cette nouvelle religion qui régissait simplement et avec équité les principes du commerce. Plusieurs facteurs expliquent cette attirance pour l’Islam. Les habitants furent en premier lieu attirés par la spiritualité des marchands qui malgré leurs richesses n’affichaient pas un matérialisme exacerbé. De plus, l’Islam apportait une conception nouvelle des rapports sociaux avec une protection des intérêts du commerçant et du client par le biais de contrats, ce qui séduisit les milieux marchands. C’est ainsi qu’au fil du temps, des éléments de la culture islamique commencèrent à s’infiltrer dans les archipels de l’Asie du Sud-Est dont nous constatons aujourd’hui la forte empreinte islamique.

Les marchands arabes voyagèrent aussi jusqu’en Chine pour acheter de la soie, du musc, des cuirs et toutes sortes de denrées introuvables ailleurs. Ils échangeaient leurs produits dans les bazars des grandes villes  où se rencontraient les marchands du monde entier. Les Arabes apprirent également des Chinois la manière de fabriquer le papier, les boussoles et la poudre à canon.

Il faut également savoir que l’Afrique ne fut pas entièrement conquise par les armes. Le commerce sub-saharien faisait partie intégrante du réseau d’échange avec le sel, l’ivoire, et surtout l’or dont l’Afrique était le premier producteur mondial. Alors qu’en Afrique de l’Ouest, l’islamisation se fit à moindre mesure, à l’Est, ce sont les marchands arabes qui introduisirent l’Islam peu après le triomphe de la religion en Arabie.  Ils établirent des comptoirs commerciaux le long de la côte orientale, ce qui permit d’islamiser et d’arabiser le Soudan et la Somalie au contact des arabo-berbères. Les musulmans étaient même employés par les rois africains pour leurs compétences en comptabilité, diplomatie etc. Ces derniers se convertirent à l’Islam, puis leurs populations, et ainsi, plusieurs sultanats musulmans virent le jour notamment au Mali et à Tombouctou qui  devint un centre commercial et intellectuel. Les grandes villes commerciales étaient aussi de grands centres d’enseignement islamique. Ce fut alors la présence musulmane qui servit de catalyseur à l’organisation de ce commerce à longue distance à travers l’Afrique sub-saharienne jusque-là ignorée.

Les marchands musulmans contribuèrent ainsi à l’expansion de l’islam dans les quatre coins du monde tel que nous le constatons aujourd’hui. Ils ont influencé les sociétés qu’ils ont traversées en suscitant de nombreuses conversions et en gardant en tête leur objectif ultime : satisfaire leur Seigneur. L’alliance entre leur quête de la subsistance pour ce bas-monde et la recherche des récompenses pour l’au-delà fut sans aucun doute la clé de leur réussite et de leur prospérité.