Nous avons tous la conviction que le monde actuel est de moins en moins tourné vers le religieux. Si on assiste effectivement  à  un désamour patent du culte et de la dévotion, il semblerait paradoxalement qu’un retour à la recherche d’un sens mystique de la vie croisse. Face au quotidien trépidant, à l’égocentrisme et au matérialisme exacerbé, comment l’Homme actuel peut-il conserver sa bulle d’espoir et d’apaisement salvateurs ? Comment comprendre ainsi la place et le statut critiques du croyant dans la société contemporaine, alors même que nous sommes tous portés par un même besoin de croire ?

Tout d’abord halte aux idées reçues : même si l’on a l’impression que la société, notamment occidentale, est empreinte d’athéisme, il n’en est rien. En effet, les études montrent que « 88% de la population mondiale adhère à une forme de croyance religieuse »*. Si effectivement en tant qu’Européennes (pour la plupart) on sent une érosion du socle religieux, c’est aussi notre lieu de vie qui conditionne cette vision : la France fait ainsi partie du top (ou flop) 10 des pays les moins religieux (28% de la population se déclare ainsi agnostique ou athée)*, mais cet état de fait est loin d’être généralisé au reste du monde ! Il faut par ailleurs avoir conscience qu’ici la foi est vécue de façon intime, cachée et que son expression dans le quotidien est minimaliste :  ‘je’ crois en une existence supérieure mais cette conviction ne doit avoir aucune influence ou incidence sur ma façon de vivre. Le monde occidental  est ainsi plus caractérisé par une forme de déisme, et de poursuite d’une pseudo-spiritualité philosophique : sociétés construites sur les piliers du christianisme, les institutions religieuses ont peu à peu été délaissées, victimes d’une image désuète et obsolète. En Europe (ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple), il est en effet quasiment honteux de se déclarer catholique et seule une minorité de chrétiens est pratiquante, la plupart des croyants de cette confession ne murmurant leur foi en Dieu qu’à contrecœur.

La vie d’ici bas revêt à présent une telle importance que l’on a le désagréable sentiment que la religion c’est l’argent et que ses prophètes sont les pantins construits par les écrans (cinéma et télévision). Beaucoup d’individus tombent dans une véritable idolâtrie, frisant la folie, de simples êtres humains élevés au rang d’étoiles pour parfois être déchus aussi vite au rang d’épaves. Il est affligeant de voir que cette société de consommation et ce dieu « argent » forgent notre pensée et dictent nos moindres faits et gestes. Le désir de posséder, d’amasser et de surconsommer sont tels que le quidam est obnubilé par la seule perspective de vouloir toujours plus. On cherche à combler un manque et on pense que cette insatisfaction et cette frustration permanentes ne pourront être assouvies que par la réalisation de cette frénésie consommatrice, sans penser que l’essentiel fera toujours défaut… L’Homme moderne a certes acquis des connaissances mais a surtout grandi en orgueil. Ses progrès l’ont éloigné de ses origines, au point qu’il pense culminer au sommet des espèces. L’être humain a cette capacité à oublier avec une facilite déconcertante sa fragilité et son insignifiance à l’échelle de l’univers : la  nature lui rappelle parfois douloureusement qu’il ne peut pas tout dompter et qu’il n’est qu’un maillon et non la clé de la création. Citons ainsi Napoléon Bonaparte qui a résumé de façon assez claire l’état d’une société sans croyance : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole ».

L’inconscience de l’Homme n’a d’égale que sa capacité à changer. En effet, nous avons été dotés d’un cerveau pour analyser et d’un esprit propice à réfléchir : ainsi, parallèlement a une montée de l’incroyance, nous constatons aussi un regain d’intérêt majeur pour la spiritualité. Deux tendances se dégagent ainsi : seuls l’islam et l’agnosticisme ont connu une hausse très importante entre 1900 et 2010 (de 12,3% a 22,5% de musulmans ; et de 0.2% a 9,6% d’agnostiques dans la population mondiale)*. L’islam est une bouée de sauvetage, religion rédemptrice pour celui qui s’y accroche fermement. Ce message salutaire est encore bien vivace, grâce à Dieu, et parmi les pays les plus religieux (plus de 95% de la population croyante), on trouve que 7 pays sur 10 sont ainsi musulmans*…

Tout en nous et autour de nous résonne de l’intensité et de l’intervention divines. Il suffit de regarder, d’entendre, de toucher et de ressentir pour que chaque fibre de notre être vibre sous la plénitude de la foi. Par essence l’Homme est porté à croire. La foi est ancrée en nous, battant au rythme de notre cœur, tel un rappel perpétuel de notre condition d’êtres voués à connaitre une fin inéluctable. Notre regard, notre cœur et notre âme nous poussent intrinsèquement à la recherche de l’éternité, à notre création et à l’appel de notre Créateur. En effet qui, même incroyant, ne se tourne pas vers Dieu dans les moments de péril ou de détresse ? Pourquoi la partie la plus primitive et inconsciente de l’Homme lui dicte la présence de Dieu ? A qui faire appel lorsque tout s’effondre autour de soi et que l’on est ramené à la petitesse et la fragilité de notre modeste condition humaine ?

La quête d’absolu fait partie de chacun de nous et est certainement une des marques laissée aux créatures incrédules que nous sommes, comme un signe sonnant à l’oreille de celui qui veut bien l’écouter et l’entendre.

* National Geographic France, décembre 2010