Par Jihene Aissaoui

Abricot, artichaut, banane, café, sucre, épinards… Non, ce n’est pas une liste de courses… Le point commun entre ces mots ? Figurez-vous que ces termes français, présents dans le Petit Robert, et qui font partie de notre quotidien, sont tous issus de la langue arabe ! Et la liste est bien plus longue, en effet, plus d’un millier de mots arabes ont été absorbés par la langue française (et plus d’un quart des termes espagnols sont d’origine arabe !), témoignage de l’influence d’une civilisation dans tous les domaines de la société occidentale. Les mots d’origine arabe nous rappellent ainsi l’impact incontestable du monde islamique en Europe tant au niveau scientifique, intellectuel et culturel.

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Nous exposerons un panorama des apports de la civilisation islamique, tout en restant bref car il serait trop long de tout détailler ici. Les plus curieux pourront consulter la liste de références conseillées.

Au Moyen-Âge, comme nous l’avons vu dans un précédent article, le commerce et les croisades intensifièrent les échanges entre Occident et Orient à tous niveaux. De plus, l’empire islamique exerçait une telle fascination que de nombreux chrétiens (à l’instar du fameux mathématicien italien Leonardo Fibonacci qui se rendit en Egypte et en Syrie) voyageaient en terre musulmane pour revenir avec des savoirs inestimables. Sous le califat d’al-Ma’mûn qui fonda la Maison de la Sagesse, les Arabes s’activèrent à traduire les ouvrages des penseurs grecs qui servirent d’inspiration pour de grandes découvertes scientifiques plus tard reprises par les Occidentaux.

La médecine

Les Arabes apportent une nouvelle vision de la maladie jusque-là uniquement considérée comme un châtiment divin ou causée par des forces du mal, et donc traitée de manière très archaïque [1]. La médecine arabe part du principe que le soin du corps permet de s’impliquer au mieux dans l’adoration de Dieu sur terre, et donc d’assurer le salut de l’âme. Voici quelques apports que l’Occident doit aux musulmans :

• Les premiers hôpitaux (incluant centre de traitement et maison de convalescence) furent fondés sous le Harûn al-Rashid au 9e siècle, ainsi que des asiles pour aliénés et maisons de retraite.

A Paris, le premier hôpital fut créé par Louis IX à son retour des croisades de 1254 à 1260.

• Le Canon de Médecine d’Ibn Sîna (Averroès) en 1025 a été traduit plus de 35 fois et diffusé dans toute l’Europe. Il restera une référence pendant de nombreux siècles, notamment dans les maladies infectieuses.

• Ibn al-Haytham (m. 1039, Alhazen) est le génie fondateur de l’optique moderne. Il est l’inventeur de la chambre noire, des lois de la réflexion, et des théories sur la lumière.

• Abou al-Qâssim al-Zahrawi (m. 1013, Aboulcassis) est l’un des plus grands chirurgiens de cette époque. Dans son encyclopédie de pas moins de 30 volumes  (!), il révolutionne notamment la manière d’opérer les ligatures artérielles, de réparer les luxations etc. Ses théories resteront une référence jusqu’à la Renaissance.

• Ibn Nafis (m. 1288), savant syrien qui a découvert la circulation pulmonaire. Ses écrits ne parviennent en Europe qu’au 16e siècle.

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Dessins d’instruments chirurgicaux dans l’encyclopédie médicale du médecin Abou Al-Qassim

 Mathématiques 

– Les Arabes reprennent les chiffres indiens et inventent le zéro (al-sifr). Ce système de numération à 10 chiffres, beaucoup plus souple et facile que les chiffres romains, séduira les Occidentaux qui l’adoptèrent grâce à Fibonacci.

– L’algorithme inventé par al-Khawarizmi (m. 850), le « Père de l’Algèbre »

Astronomie

Alors que les Chrétiens avaient la conviction que la Terre était le centre de l’Univers, et considéraient comme hérésie toute opinion contraire, les scientifiques musulmans s’approprièrent l’héritage des grecs et s’illustrèrent dans de nombreux travaux repris jusqu’aujourd’hui. Leur apport est si incontestable dans le milieu, que plusieurs noms d’étoiles sont d’origine arabe, et des cratères de la Lune portent le nom de grands astronomes musulmans.

 • Al-Battâni (m. 923) a repris les travaux de Ptolémée (ce qui lui valut le surnom de « Ptolémée des Arabes ») et calcula l’inclinaison de l’axe terrestre.

 • L’iranien al-Tûsi (m. 1274) a imaginé un système planétaire le plus avancé de son temps et qui sera intensivement utilisé. Le célèbre allemand Copernic (m.1543) s’inspirera des travaux d’al-Tûsi dans sa théorie sur l’héliocentrisme.

 • Les Arabes inventèrent ou perfectionnèrent des instruments d’astronomie dont se serviront plus tard les Européens pour découvrir le Nouveau Monde.

Exemples : l’astrolabe, l’horloge astronomique, le cadran solaire (pour les heures de prière), la boussole etc…

Astrolabe-bronze

 

Astrolabe de bronze (927-928), musée du Koweit

Littérature et philosophie

La philosophie islamique influença profondément la pensée chrétienne médiévale, grâce à plusieurs auteurs qui s’illustrèrent dans une nouvelle forme de réflexion sur l’homme et son environnement, inspirés par les travaux de la Grèce Antique, comme ceux d’Aristote ou de Platon :

• AbouYoussef Ya’qûb al-Kindi (m.866)

• Abou Nasr Mohammad Fârâbi (m.950), fondateur de la philosophie hellénisante islamique avec les notions d’éternel et de temporel (qadim, hâdith), d’intellect (’aql),

• Ibn Sina dit Avicenne (m.1037) développa des théories de métaphysique avec le concept de l’être en tant qu’être. Il influença notamment le théologien Thomas d’Aquin (m. 1274), puis plus tard le philosophe allemand Heidegger (m. 1976)

• Abou Ḥamid Moḥammed ibn Moḥammed al-Ghazālī (m. 1111) critique l’aristotélisme d’Avicenne et intégra une dimension mystique à la philosophie. Certaines de ses œuvres furent traduites en latin, à l’instar du très connu Ihya’ `Ulum al-Din (Revivification des sciences religieuses)

• Ibn Hazm (m.1063) en Andalousie inventa le code de l’amour courtois avec Tawq al-Hamâma (Le Collier de la Colombe)

• Ibn Rushd dit Averroès (m. 1198) influença également la scholastique médiévale. Ses travaux ont facilité l’accès et la compréhension à la pensée d’Aristote, si bien qu’il fut surnommé « Le Commentateur » par les théologiens latins. Certains le considèrent même comme l’un des fondateurs de la pensée laïque en Europe de l’Ouest, grâce à son ouverture d’esprit et sa modernité qui lui valurent plusieurs condamnations dans le monde musulman.

Pendant une activité scientifique en pleine effervescence dans le monde musulman qui connait son « âge d’or », en Europe, les moines érudits vivaient reclus dans des monastères pour étudier des bibliothèques pauvrement fournies comparé aux 80 000 ouvrages disponibles rien qu’en Andalousie. Et alors que les Chrétiens se demandaient s’il était possible d’allier science profane et religion, les Musulmans développèrent et apportèrent des connaissances qui changeront à jamais la face du monde.

Ce n’est qu’après la reconquête des villes occidentales musulmanes, et à l’aube de la Renaissance, que les chefs d’œuvre de la science arabe s’imposèrent en Europe. L’un des grands penseurs de cette époque écrivit :

« Sombrant dans l’obscurantisme chrétien médiéval, c’est à la transmission arabo-musulmane que nous devons la réappropriation de notre patrimoine culturel. Dès le second siècle de l’Hégire, les Arabes deviennent les précepteurs de l’Europe. » Voltaire (m. 1778), Essai sur les mœurs et l’esprit des Nations.

Pour approfondir le sujet :

• S. Hunke, Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident : Notre héritage arabe, Albin Michel, 1997.

• A. Djebbard, Le Grand livre des sciences et inventions arabes, Bayard Jeunesse, 2006.

• J. Brotton, Le Bazar Renaissance : Comment l’Orient et l’Islam ont influencé l’Occident, Les liens qui libèrent, 2011.


[1] A titre d’exemple, voici un extrait de l’ouvrage d’Amin Malouf, les Croisades vues par les Arabes. Un médecin Franc reçoit une femme prise de fièvre, voici son traitement pour le moins effarant :« Cette femelle a un diable dans le corps qui s’est amouraché d’elle. Coupez-lui les cheveux ». On les lui coupe, et elle se mit à manger de nouveau des aliments de ses compatriotes. Alors sa fièvre monta, et le médecin dit : « Le Diable monte maintenant à sa tête ». Avec ces mots il s’empara du rasoir, lui fit une entaille au cuir chevelu en forme de croix jusqu’à ce que l’os du crâne se dénuda, et le frotta alors avec du sel. La femme mourut au bout d’une heure.