Lorsque vous regardez votre Qur’an, souvenez-vous de toutes les copies ensevelies dans l’immense tombeau des ruines au Sud de la Turquie. On ne se rend jamais réellement compte de la valeur des choses, et ce compagnon, que l’on met à l’honneur chaque mois de Ramadan, est bien trop souvent délaissé… oublié… jusqu’à ce qu’un jour, il soit trop tard.

Ce témoignage, c’est l’une des rescapés du tremblement de terre du 6 février 2023 qui vous l’écrit. Dans le fond, j’ai moi-même l’impression que cette voix vient d’ailleurs, d’un instant où l’âme, saisie par sa vulnérabilité, se tourne complètement vers La Source de salut, tawhid exprimé au-delà des mots. C’est ce qui se passa au moment de sortir de notre maison, lorsque nous récitions le tahlil (attestation de l’unicité d’Allah), ainsi qu’une formule pour rassurer nos coeurs : – لا نخاف إلا الله – nous n’avons peur que d’Allah. Les invocations, se sont aussi des perles d’espoir et des cadeaux qui nous sont offerts. On y puise une force que l’on aurait imaginée…

C’est une véritable bénédiction que nous soyons au cœur du mois sacré, car s’il y a bien une chose que l’on craint après un tel événement, c’est le retour à l’état d’insouciance (ghaflah). Et le Ramadan, c’est le mois de la miséricorde qui recouvre l’esprit de sa citadelle pour l’aider à mieux filtrer encore les pensées qui s’y présentent. Comme vous le lirez dans le récit du 6 février qui suit, nous avons eu à quitter notre maison à Gaziantep en nous rendant d’abord à Ankara et maintenant Istanbul où nous avons généreusement été accueillis par mon enseignante, qu’Allah la récompense elle et l’ensemble de sa famille. Etre privés de son foyer, c’est vrai que c’est difficile et quelque peu éprouvant. Mais la véritable privation, serait celle de ne point avoir Allah dans sa vie, de ne point avoir connaissance de Son prophète, noble et illustre exemple pour l’humanité ﷺ. L’époux de mon enseignante, qui est lui-même Shaykh, a dit (essayant de nous rassurer afin que nous ne soyons pas gênés par leur grande bonté) : « Pourquoi étudions-nous la sirah depuis tout ce temps, si ce n’est pour l’appliquer ? » Ainsi, Allah nous éprouve en un endroit, et nous offre refuge en un autre. La terre, qui nous secoue physiquement, force notre âme à l’éveil, et nous met face à ce miracle d’être encore en vie, notre miracle, notre devoir de prise de conscience et d’efforts pour nous rapprocher de Lui. Si vous regardez bien dans votre propre vécu, il se peut que vous réalisiez que vous aussi, vous avez eu votre « miracle », cet événement spécifique destiné à ramener votre cœur à la vie. Ne manquez pas de le réaliser… Puisse Allah éclairer nos cœurs.

Allah nous dit, dans Son Saint Livre : {وَقَلِيلٌ مِّنْ عِبَادِيَ الشَّكُورُ} – « …et peu de mes serviteurs sont reconnaissants ».

Exprimons alors notre gratitude infinie à Celui Qui nous octroie constamment des biens immenses et attestons que tout bien qui nous touche provient exclusivement de Lui. Prions pour l’ensemble de l’humanité et pour tous ceux qui nous ont quittés. Et si vous avez votre Qur’an à vos côtés, prenez-le, contemplez-le, aimez-le, lisez-le. Alhamdulillahi, mon époux a pu récupérer nos copies respectives du Saint Livre, avant notre départ pour Ankara…

Partie 1. Tremblement de Terre en Turquie : le début d’un nouveau monde


Au beau milieu de la nuit, dans la chaleur et le confort de notre maison, le tremblement de terre nous réveille. Je sers les enfants contre moi et appelle leur père qui arrive comme un aigle voulant nous protéger de ses ailes. Je lui dis qu’il faut que nous sortions rapidement. On place les enfants sous une table le temps de recouvrir nos pyjamas et enfiler des chaussures puis nous faisons de même pour eux. Je prends les documents, puis nous sortons en courant, descendant du 4 ème étage, tout comme le font l’ensemble des habitants de l’immeuble. Je m’effraie de voir l’état d’un mur et les fissures… Dehors, il pleut fort. Je vois ma chère voisine et touche son épaule tendrement, mais ne m’arrête pas ; nous nous rendons au petit parc non loin de chez nous. Il y a énormément de voitures, de gens qui courent, de cris, de vacarmes. Et là, second tremblement de terre. Je vois la partie supérieure d’un immeuble en briques s’écrouler. Dieu merci, personne n’est touché. Pas même une voiture. Je perds ma chaussure, fais quelques pas dans l’eau avant d’en être sûre ; demi tour pour la récupérer et poursuis. Le parc est rempli. Nous nous dirigeons vers un des bancs avec petit toit, tous bondés. Il y a de la neige aussi. Nous restons là à attendre. Quelques personnes partent alors je m’assoie bien que ce soit mouillé. Je prends le petit sur mes genoux, ouvrant la veste pour le recouvrir un peu plus et garde ses pieds entre mes jambes pour les réchauffer. Puis je dois également prendre le grand qui se met à pleurer. Il est mouillé. Il a courut lui aussi. Nous restons ainsi pendant une heure. Un homme voit qu’il y a un tout petit et nous invite dans sa voiture. Les enfants et moi y allons et mon époux attend dehors. Ils sont 5 à l’intérieur : l’homme, son épouse, leur bébé, une dame et un adolescent. Ce dernier, d’une gentillesse admirable, s’appelle comme mon aîné. Que Dieu les récompense grandement !

Nous restons un peu moins de deux heures au chaud. A 7 heures, ils repartent. Nous retournons sur le banc. Une dame sourit : « Alors vous êtes revenus ? » Les gens sont de moins en moins nombreux. Une nouvelle famille nous rejoint, ils attendaient sous la pluie et sont tous trempés. Ils apportent de quoi faire un feu. Le papa sèche la poupée de sa petite fille, ce qui fait sourire les enfants. Puis il prend sa grande fille et passe ses chaussures dans le feu. Elle a peur mais il la rassure. C’est beau à voir. Il ne montre rien de son inquiétude. Il a ce visage bon et bienveillant. Une dame plus âgée, je suppose sa maman, a constamment le sourire sur les lèvres. Incroyable et tant rassurant ! Une voiture arrive et emporte son épouse et les enfants. Nous restons encore. Nous attendons qu’ils partent pour partir aussi. Entre temps, des gens se joignent à nous, d’autres partent.

Le jour se lève. Le petit est endormi contre moi et le grand veut manger. Mon époux achète quelques gâteaux que nous partageons avec nos voisins de table. Instant convivial dans un moment difficile. La majorité des feux allumés aux quatre coins du parc s’éteignent. C’est le début d’un nouveau monde.

Partie 2. La sakina face aux nouvelles secousses


Autour de 10 heures, nous décidons de rentrer. L »immeuble n’est pas dans un bon état. Un voisin nous accompagne en nous prévenant : « N’ayez pas peur de ce que vous allez voir… ce n’est rien. » Je pense qu’il parle de la plus grosse fissure que j’ai déjà vue… mais non. On voit des pierres – un bout de mur au sol. Un vieux mur de l’intérieur des voisins dit-il… pas de quoi s’inquiéter. Arrivés à la maison, nous nous changeons vite et préparons quelques affaires. Ce n’est pas rassurant. Je vérifie mes plantes à la cuisine, et heureuse, je les félicite d’être encore debout. Il y a pas mal de choses au sol, mais aucun meuble, rien de grand. Nous vérifions quels lieux sont ouverts au public et choisissons le merkez à 10 minutes à pieds. Je prends le petit dans un préformé ainsi que ma veste de portage. Mon époux s’occupe du grand. Il pleut encore très fort et le chemin est glissant. C’est difficile, mais on y arrive. On voit quelques dégâts, comme une partie du toit de la mosquée écroulée. Le centre est de 3 ou 4 étages. Les enfants jouent. On sent d’abord une petite réplique vers 11 h, mais pas inquiétante. Une soupe est servie. Vers 13 h, nouvelle réplique, forte cette fois-ci. Tout le monde se précipite à nouveau dehors, la situation est de nouveau chaotique. Le sac sur le dos, je sens que quelqu’un me pousse doucement et me retourne : c’est une voiture ! Rien de méchant, mais cela montre bien l’état de panique. Je dis à mon fils : « Tu vois, il faut faire attention, les gens ne savent plus ce qu’ils font. » On décide d’aller au grand parc, sans savoir à quoi nous attendre. Ce trajet est difficile, on entend les sirènes des véhicules d’assistance en permanence et cette fois-ci il neige. On essaie d’arrêter un taxi mais impossible. En chemin, on passe devant un centre et je dis à mon époux qu’il semble être ouvert au public. Nous nous y rendons, le traversons jusqu’à arriver au self et, trouvant une table vide, nous nous installons. Difficile de calmer les enfants, surexcités, mais ce lieu semble sûr. Il n’y a un qu’un étage, c’est déjà rassurant. Les tableaux sont tous parfaitement accrochés, aucun d’eux n’est de travers. La nuit, je prépare un lit au sol, posant les vestes et une petite couverture pour protéger du froid et nous avons un grand plaid pour nous recouvrir. Les enfants sont sur le point de s’allonger, quand une nouvelle forte réplique se produit.

Effrayée, je leur dis que nous allons à nouveau vite sortir ; tout le monde est en panique, quand un jeune homme se lève et crie : « Sakin ! Sakin ! » avec un grand geste de la main. Cette réaction a un effet magique sur chacun de nous. Elle me fige intérieurement, me rappelant les paroles du Seigneur… Je mets les enfants sous la table. Mon grand me demande : « Nous ne sortons pas ? » Je réponds que non… nous sommes ici en sûreté. Le calme revient. Mon époux dort sur la chaise et nous, nous dormons au sol. Nous nous endormons rapidement. Quel bienfait ! Dormir ! Nous restons au centre quatre jours et trois nuits. Les enfants se font des amis. Des personnes partent, de nouvelles viennent. C’est un centre de recherches sur la pistache. Nous y avons de l’eau, qui parfois coule sale, mais il y a de l’eau… Il y a même une petite salle de prière avec son lavabo.

Petite vidéo du centre qui a accueilli les rescapés

Malgré le fort grand nombre de personnes présentes, je trouve que ces jours se passent bien. Je sors faire des courses dans un magasin proche – une partie est interdite au public car le toit risque de s’écrouler. La vie, dehors, se poursuit ; et pour la première fois depuis quelques années, je sens un lien profond à cette ville. Partager des épreuves rapproche les cœurs. On s’attache finalement. On découvre d’autres antepiens. Il y a à la fois syriens et turcs ici. Savoir la présence d’une française amuse un peu et semble détendre. Cela change les idées un instant je suppose. Une jeune femme enceinte me demande même : « Et en France, il y a des tremblements de terre comme ça ? » Je réponds que non et elle s’exclame : « Aaaah la France ! » Malgré les sourires et moments de partage, on ne cesse de penser à ceux qui ont tout perdu. On est à la fois profondément tristes et extrêmement reconnaissants. L’ensemble des messages de soutien reçus sont autant de bouffées d’air frais et réconfort pour le cœur. On y puise sa force. Que le Tout-Généreux vous récompense de votre présence à tous ! On vous aime !

Partie 3. Le Dhikr pour apaiser le coeur


Le départ. Jeudi matin, mon époux décide que nous devons partir. Je ne suis pas prête… difficile d’accepter le départ. Je craque en fait. J’ai besoin de sortir et de m’éveiller au monde. Je touche la neige, les bourgeons sur un arbre et je dis à la terre que ce n’est pas parce qu’elle a tremblé qu’on ne l’aime plus. La nature… notre dépôt. J’observe encore ce centre de recherches… je ne vois pas de fissures. Les petits plants de pistachiers sont tous debout. Il y a même un petit mûr de briques qui n’a pas bougé. Incroyable lieu, que ce petit centre, me dis-je ! De plus, ce jour là il fait beau. Les enfants jouent dehors… on croirait presque qu’il ne s’est rien passé. Je range et prends nos affaires le cœur lourd. J’ai honte. On culpabilise de laisser des gens derrière, d’avoir une chance que d’autres n’ont pas. En disant au revoir à une formidable dame, je ne peux m’empêcher de pleurer. Je la prends dans les bras… elle est dans le même état. Nous partons en début d’après-midi. Mon époux passe chercher certaines choses dans notre appartement. Peu et vite. Le chemin est long et difficile… surtout la traversée de Nurdağı. Les bâtiments et maisons en ruines, les tentes pour les rescapés, les recherches de personnes sous les décombres, une petite distribution d’aides bruyante… Une vision atroce. Il y a des embouteillages dans les deux sens : d’un côté les personnes touchées par la catastrophe qui partent, de l’autre les aides et volontaires qui arrivent.

En chemin, un pneu crève. Le conducteur essaie de stopper un véhicule. Il réussit finalement à stopper un camion et part avec lui chercher une remorque. Nous restons seuls dans son véhicule, sans chauffage, en bord d’une autoroute, dans le noir, entourés des bois. J’ai eu peur je l’avoue, je n’ai su contrôler cela. Je prends la khulasa (recueil d’invocations) et lis. Le cœur se calme et la remorque arrive enfin. Après le pneu réparé, nous continuons. Nous arrivons à Ankara à 3 heures du matin Vendredi. Durant la nuit, je crois sentir une secousse et me lève en panique. Mon époux me rassure… il n’y a rien. La seconde nuit, cela recommence. Il faut à l’esprit du temps pour cesser d’envoyer des messages d’alerte. Cela fait donc 5 jours que nous sommes à Ankara et ignorons quelle sera la suite des choses. Parfois je craque encore, je pleure, je suis prise d’angoisse et anxiété. Mais nous sommes en vie. Nous ne l’oublions pas un instant. Nous sommes ensemble. Nous avons une chance énorme, oui, d’être des rescapés.

Puisse le Seigneur couvrir de miséricorde ceux qui nous ont quittés, sauver ceux qui se trouvent encore sous les décombres, soigner les blessés ainsi que les cœurs et les esprits.

Témoignage de Amatulhaqq Bintibnali

Notre soeur nous invite à continuer à donner pour offrir un meilleur avenir aux rescapés. Ils ont encore besoin de notre aide pour reconstruire ce qu’ils ont perdus. Voici une cagnotte sûre pour envoyer vos dons.
Qu’Allah vous récompense à la hauteur de Sa générosité inépuisable : https://www.cotizup.com/syrturk