As salam alaykoum.

 pere-fille

Je commencerais par vous donner un détail qui a son importance pour moi : je m’appelle Imane (eh oui, comme votre magazine). Ce prénom qui m’a parfois complexé lors de ma scolarité parisienne, aujourd’hui, je ne l’échangerais pour rien au monde.  « El Imane », en français « la foi », est la base même de l’Islam. Cette base sans laquelle les cinq piliers que nous connaissons tous ne pourraient tenir. Elle est cette flamme qu’Allah « Ta’ala » a introduite en chaque cœur. Certains hommes l’attisent jusqu’à en faire un brasier ardent lorsque d’autres cherchent à l’étouffer jusqu’à ce qu’elle s’éteigne.

Ce beau prénom, il m’a été donné par mon bien aimé père. Un homme bon et pieux qui m’a guidé tout au long de ma vie.

Jusqu’à l’âge de 29 ans, j’ai mené une vie paisible et heureuse par la grâce d’Allah. Je n’ai jamais connu de réelle épreuve. Une enfance joyeuse, de grandes études puis un beau mariage « el-hamdullillaih ». Ayant conscience de ma chance, je remerciais chaque jour Allah de me préserver du malheur.

Et puis un jour, tout a basculé.

 Alors que je nageais dans le bonheur et que j’étais enceinte de mon deuxième petit garçon, j’apprends lors d’un rendez-vous à l’hôpital que mon père, mon pilier, ma boussole, l’être qui compte le plus pour moi,  avait un cancer de stade avancé.

À partir de là, tout s’est enchainé très vite. Allant de chimiothérapie en radiothérapie, son état s’est très vite dégradé.  Mon père, cet homme fort comme un bœuf, bon vivant avec sa petite bedaine, s’est vite transformé en petit vieillard chétif.

Jamais je n’ai prié Allah avec autant de ferveur, jamais. Je l’implorais jour et nuit de me laisser mon père.  Je suis allée jusqu’à souhaiter la perte du bébé que je portais en moi en échange de sa vie. Je sais, c’est terrible, mais seul Allah connaît la douleur qui brûlait en moi au point de m’avoir donné de telles pensées.

Quelques mois passèrent durant lesquels j’ai tout mis de côté : mon travail, mon mari, mon premier enfant. Je passais mes journées à l’hôpital au chevet de mon père et lorsqu’il en sortait entre deux chimiothérapies, je l’emmenais se promener en fauteuil roulant pour lui changer les idées. 

Le plus dur dans sa maladie n’était pas tant la douleur physique bien qu’elle était insoutenable. Non, le plus dur pour un homme comme mon père, c’était de devenir dépendant des autres pour des taches quotidiennes telles que manger, se laver ou se déplacer. Il lui a fallu des semaines et plusieurs interventions des pompiers pour qu’il accepte de ne plus aller aux toilettes tout seul. Est-ce que vous pouvez imaginer ce que c’est pour une fille élevée dans la pudeur et le respect, de devoir accompagner son père aux toilettes ? Je n’en dirais pas plus.

Retour au pays 

Peu de temps après avoir accouché de mon fils, les médecins nous annoncèrent qu’il n’en avait plus pour longtemps. Conformément à la volonté de papa, nous l’avons alors ramené dans notre pays, en Tunisie, afin que sa vie s’achève là où elle avait commencé et qu’on l’enterre près de ses ancêtres. Alors voilà, j’ai dû laisser un nourrisson de trois mois à peine et je suis partie avec mon père et ma mère. J’ai fait ensuite des allers-retours à répétition entre la France et la Tunisie pour passer le plus de temps possible près de mon père mourant. Lorsque j’ai senti la fin arriver, je ne suis plus repartie. J’ai passé mes jours et mes nuits à lui tenir la main, à l’embrasser  et à lui lire le saint Coran.

Un soir, au moment d’aller me coucher dans mon lit juste à côté du sien, je ne sais pas pourquoi, je suis restée toute habillée. Vers 3h du matin, je me suis réveillée par moi-même, je suis allée près de mon père, je lui ai redit tout l’amour et le respect que j’avais pour lui puis je lui ai récité inlassablement la Shahada dans l’oreille. Moins d’une heure après, il a pris un dernier grand souffle, son âme s’est échappée de son corps par sa bouche et seule son enveloppe charnelle demeurait. Il est mort dans mes bras.

 

La bénédiction dans l’épreuve

Si je partage tous ces détails très personnels aujourd’hui c’est pour que vous sachiez que la maladie et la perte de mon père ont certes été pour moi l’épreuve la plus douloureuse de ma vie mais ce fût également une bénédiction d’Allah soubhanahou wa ta’ala.

Lors de la maladie, IL m’a donné la force et l’endurance. La force d’être là pour mon père en toutes circonstances, aussi difficile soient-elles, et malgré ma grossesse.

Lors de son décès, IL m’a donné la patience, « el-sabr ». Comment vous expliquer par quel miracle la grande sensible petite fille à son papa que je suis n’a pas versé une seule larme le jour de sa mort. Lorsque les femmes de la famille se sont mises à hurler leur malheur, c’est bien le mot, « hurler », moi je suis allée prendre mon tapis de prière, je l’ai étendu au milieu de toutes ces femmes et j’ai prié « salat el-fajr » parce que le soleil se levait.

Lors de la sortie du corps, une hystérie générale s’est emparée de toutes les femmes, cris, larmes, auto-flagellations… Je ne saurais vous décrire ces scènes dignes de l’ère préislamique qui existent toujours dans nos pays. Mais moi, grâce à « el imane » qui habite mon cœur, j’ai suivi le cortège des hommes jusqu’à l’extérieur en répétant frénétiquement « Allah ou Akbar ». Ensuite, je suis rentrée calmement consoler ma petite sœur et ma pauvre maman veuve à 57 ans après 40 ans de mariage.

La grâce d’Allah ne s’est pas arrêtée à l’endurance et la patience qu’IL a fait descendre sur moi. Depuis ce jour, je m’efforce d’être quelqu’un de meilleur « incha’allah ».  Les prières que je faisais autrefois assez mécaniquement, désormais que mon cœur a connu la douleur, je les fais en me concentrant sur la signification de chaque mot que je prononce. Je n’accorde plus d’importance aux futilités de la vie qui autrefois me préoccupaient tant. Je refuse de prendre partie aux conflits et aux commérages dont nous les femmes raffolons tellement. Je ne juge plus mon prochain car « Allah ou ‘aalam »  ce qu’il a enduré et ce que renferme son cœur. Et surtout, je suis plus que jamais sensible à la douleur, la souffrance des gens qui m’entourent quels qu’ils soient et je trouve du réconfort à pouvoir les aider par des actes si je le peux ou par de simples paroles réconfortantes.

Alors oui, je considère que la maladie, la pauvreté, la perte d’un proche ou toute autre épreuve sont des bénédictions d’Allah. Elles nous rappellent Sa toute puissance et nous permettent de nous recentrer sur l’essentiel.

Continuer à honorer mon père

 Avec le recul, je peux dire que mon père a eu une belle vie mais aussi une belle mort, dans son pays, dans sa maison et entouré de sa famille « el hamdullillaih ya rabi ».

Concernant sa maladie et sa souffrance, comme le dit le hadith suivant : « Tout ce qui atteint le musulman comme fatigue, douleur persistante, angoisse, tristesse, même d’une piqûre d’épine, lui vaut de la part d’Allah l’effacement d’une partie de ces péchés. » [Rapporté par Al-Boukhari & Muslim]

Alors partant de ce hadith, je peux espérer qu’Allah s’est servi de la maladie de mon père pour le purifier de ses péchés avant de le ramener à Lui « incha’Allah ».

 

Enfin, lorsque nous perdons un parent, la meilleure chose que nous puissions faire pour lui est de prier pour lui, faire des invocations en sa faveur ainsi que faire de bonnes actions qui reviendraient également à la personne qui nous a élevé dans ce sens.

En effet,  selon Abou Hourayra (que Dieu lui accorde sa satisfaction), le Messager de Dieu (bénédiction et salut de Dieu sur lui) a dit: « Quand l’homme (ou la femme) meurt, son oeuvre s’arrête sauf dans trois choses:

1. Un bien qu’il a légué en aumônes continues.
2. Une oeuvre scientifique dont les gens tirent profit.
3. Un enfant vertueux qui prie pour lui ou qui, par ses bonnes actions, pousse les gens à lui bénir ses parents ». (Rapporté par Muslim)

 

Je souhaite sincèrement que mon témoignage puisse aider tous nos frères et sœurs qui traversent une épreuve difficile. Qu’Allah dans Sa Miséricorde leur apporte la patience et l’endurance.

Mon expérience m’a appris que les chemins de la foi sont nombreux et que Seul Allah « azawwajal » connaît ce qui est le mieux pour nous, même si à nos yeux d’humbles mortels nous pensons que c’est le pire.

Pour ma part, j’ai trouvé la paix et la sérénité en ayant une confiance aveugle en la Volonté d’Allah.  Mon père avait appelé mon premier fils « Yakine » ce qui signifie la certitude. Il s’agit du plus haut degré de foi. Et j’ai prénommé mon second fils Nour Eddine, la lumière de la religion, comme son grand-père…

 

 Imane Dk