J’ai découvert il y a peu de temps cette initiative, que j’ai trouvée absolument intéressante et nécessaire. Et quel jour meilleur que le vendredi pour la partager avec vous chères lectrices (et lecteurs ^^ ) !

Portée par la très sympathique anthropologue Andréanne Pâquet (en collaboration avec le photographe Eric Piché), elle vise à rétablir la véritable image de la femme voilée, dans les médias québécois et dans la pensée collective.

Andréanne Pâquet a accepté de répondre à quelques unes de mes questions…découvrons ensemble cette Belle Initiative !

De quelle envie / constat/ nécessité est née votre initiative? Quelle forme prend-t-elle? Quel est son but?

Ce qui nous voile est né des observations que j’ai réalisées lors de mon travail en tant qu’animatrice d’un atelier de sensibilisation aux préjugés et à la discrimination dans plusieurs écoles secondaires du Québec. Les idées reçues que j’entendais alors sur les femmes portant le voile me heurtaient; elles étaient par ailleurs fort répandues. Ayant voyagé dans quelques pays arabo-musulmans, j’avais une sensibilité particulière sur la question et je voyais bien que c’est l’ignorance qui fait que ces jeunes entretiennent de fausses idées à ce sujet.
L’image de la femme musulmane colportée dans les médias québécois me choquait également. J’avais l’impression que les femmes jeunes, aux voiles colorés et aux habits très nord-américains que je voyais dans les rues du centre-ville n’apparaissaient que très peu dans les journaux et à la télévision : en effet, on préfère souvent montrer ces images génériques des ban ques d’images qui montrent des femmes en niqab, voilées de noir. Ce décalage entre la réalité et l’image publique des femmes portant le voile me semble la source de beaucoup d’incompréhension et crée ce mythe de la femme musulmane distante, re fermée sur elle-même et incapable de s’intégrer à la société québécoise.
J’ai donc voulu briser le stéréotype en montrant la diversité des femmes musulmanes voilées d’ici. Cela me semblait passer d’abord par l’image. J’ai parlé de ce projet à mon ami Éric Piché, qui est un photographe professionnel cumulant 20 ans de métier, et qui a été emballé par l’idée. Il a élaboré un système de lumière et de décors portable, que nous pouvions trimball er un peu partout et qui permet de recréer chaque fois les mêmes conditions pour que les portraits soient uniformes. Nous avons ensuite lancé l’invitation aux femmes via quelques connaissances que j’avais et qui ont relayé l’information, notamment via facebook. En un an, nous avons réussi à faire le portrait de 53 femmes de toutes origines, générations, allégeances. En parallèle, j’ai aussi conduit une vingtaine d’entrevues avec les participantes pour mieux comprendre la signification qu’elles donnent au voile.
Alors qu’à la base nous voulions créer à partir de ce matériel une courte vidéo pour diffuser sur le web, nous avons rapidement réalisé qu’il fallait susciter des occasions de rencontre entre ces femmes et le public non-musulman. Un premier événement du genre a été organisé avec le Centre Amal pour femmes lors de la Semaine d’actions contre le racisme, en mars 2011. Nous avons alors projeté quelques portraits et extraits d’entrevues et convié certaines participantes au projet à venir échanger avec le public. La réponse a été extrêmement positive. J’ai réalisé combien les gens appréciaient de pouvoir échanger librement, poser les questions qu’ils avaient en tête sur le voile mais n’avaient que rarement l’occasion de poser.

Pourquoi vous êtes-vous intéressés au hijab en particulier?

Lors de mes discussions avec les jeunes dans les écoles, le préjugé le plus fréquemment évoqué concernait la population musulmane et ses femmes en particulier. J’ai réalisé l’étendue de l’ignorance de la plupart des élèves envers l’islam ou les gens originaires des pays arabo-musulmans mais surtout, la peur que cela suscitait chez eux. Il faut préciser qu’avant les années 2000, le Québec comptait très peu de musulmans ou de ressortissants arabes. C’est en voulant attirer une immigration francophone et instruite que le gouvernement québécois a recruté massivement dans les pays du Maghreb; en 10 ans, la population musulmane a ainsi doublée. Il me semblait donc nécessaire d’effectuer un travail d’éducation mais aussi de rapprochement entre la majorité d’obédience catholique et la minorité musulmane.
En tant que féministe, la question du voile m’a également interpellée. Plus jeune, j’ai mis du temps à comprendre que féminisme et voile n’étaient pas irréconciliables, mais qu’au contraire, la lutte pour le droit de porter le voile et de s’afficher en tant que pratiquante d’une religion était en fait une lutte pour le droit des femmes à être ce qu’elles désirent être.

Vous-même aviez-vous des idées fausses au départ sur la femme voilée, et que cette initiative vous a permis de gommer?

Tout plein! Ce n’est pas parce qu’on a une sensibilité ou une attirance envers un sujet qu’on le connaît complètement. J’ai réalisé à travers ce projet combien les femmes qui ont décidé de porter le voile ont des raisons différentes les unes des autres de le faire et surtout, que le voile n’est pas toujours le signe d’une pratique orthodoxe de la religion. Peut-être associais-je à tort la vie des « voilées » (tel qu’elles se nomment) à celles des sœurs catholiques qui vivent en communauté et dont la vie est remplie de privations.

Que tirez-vous humainement de ce projet?

C’est peut-être le côté le plus formidable du projet: nous avons photographié et interviewé des femmes portant le voile, mais nous avons d’abord et avant tout fait la rencontre d’individus exceptionnels. J’ai trouvé dans plusieurs de ces femmes une réelle inspiration et beaucoup de confiance pour le Québec qu’elles contribuent à bâtir. J’ai également appris à connaître la communauté musulmane de Montréal, qui m’était complètement inconnue avant de débuter le projet.

Un mot pour nos lectrices?

Nous avons choisi d’intituler le projet « Ce qui nous voile » puisque nous avons réalisé que devant nos yeux de non-musulmans, se trouve parfois un voile cousu de préjugés qui nous empêche de voir les femmes musulmanes telles qu’elles sont, au-delà de leur hijab. Mais je pense aussi que nous avons tous ce genre de voile devant les yeux. Il prend différentes formes selon les contextes; chaque individu a intérêt à remettre en question ses idées préconçues sur l’autre et à aller à sa rencontre. Il y aura toujours des gens, des modes de vies et des façons de penser qui nous dérangeront; le projet m’aura prouvé qu’il est possible d’apprendre à mieux les connaître, les comprendre et les accepter.

Et pour plus d’informations, rejoignez la page facebook dédiée au projet : www.facebook.com/pages/Ce-qui-nous-voile