Hanane KARIMI nous fait le plaisir de nous proposer une saga riche et captivante durant ce mois, mais au préalable elle se raconte pour nous permettre de comprendre son parcours et les raisons de son engagement moral.

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Un passé intimement lié à la France :

Je suis française, fille d’immigrés marocains originaires du Nord-Est du Maroc. L’histoire de ma famille au Maroc est intimement liée à la présence française en Afrique du Nord, que ce soit au Maroc, alors sous protectorat français, ou en Algérie, alors département français prospère, où une partie de mes aïeux immigra temporairement pour travailler. C’est donc depuis quelques générations déjà que mon histoire familiale est liée à celle de la France. Mon père s’installa en France au milieu des années 70, ma mère le rejoignit peu de temps après avec ma sœur ainée née au Maroc. Je suis la troisième d’une fratrie de 7 enfants, 5 filles et 2 garçons. Je suis née en France dans la ville de Troyes en Champagne-Ardenne. Comme beaucoup d’enfants d’immigrés nord-africains, j’ai récolté des bribes d’Histoire tardivement. La génération des silencieux et l’amnésie sélective des programmes d’histoire m’ont très tôt interrogée. Prise entre deux cultures, à la fois marquée par une opposition historique et philosophique, le message coranique a représenté pour moi une troisième voie : une voix profonde, réformiste et apaisante. J’ai fréquenté la mosquée de La Chapelle St Luc (comme nous la nommions) où ma sœur et moi avons mobilisé et dynamisé un groupe de paroles, de réflexion et d’écoute avec des jeunes filles des quartiers populaires. Mon envie de réformes profondes, de rupture avec les traditions culturelles, souvent injustes à l’égard des femmes, a commencé à travers cette mobilisation féminine. L’Islam m’a permis de rompre avec les traditions instituées au nom du sacré. J’ai ainsi connu pendant cinq années une vraie collaboration avec les croyants de ma communauté à Troyes. C’est tout naturellement, qu’après mon déménagement pour mes études à Nancy, je décidais de fédérer les étudiants musulmans de ma cité universitaire autour de rencontres hebdomadaires. L’écho produit par cette démarche fut plus qu’inattendu. Les salles dédiées aux réunions furent très vites trop petites pour nos rencontres, nous étions plus de 50 à chaque réunion. Les autres cités universitaires finirent par suivre cette initiative en appelant à une conscience musulmane responsable et engagée, en relation avec les autres. L’effet boule de neige s’amplifia, certains redécouvraient leur foi, d’autres découvraient un mouvement dynamique et convivial. En complément de mon engagement militant religieux, j’entreprenais des recherches sur la colonisation. A 22 ans, je découvrais Malek Bennabi à travers son livre « colonisabilité » et cela bouleversa profondément ma vision de l’histoire coloniale. Malek Bennabi a comblé les interstices manquants de mon histoire familiale de manière inattendue. Sa dénonciation de la posture victimaire, son appel à une éthique de responsabilité me firent comprendre que la réforme passait d’abord par un positionnement nouveau au niveau individuel.

 

Un nouveau chemin

C’est après une longue coupure que j’entrepris un master à Strasbourg au CEERE: la sociologie puis l’éthique m’ont offert des perspectives nouvelles. Réflexion, analyse et déconstruction m’ont permis de réinterroger les habitudes héritées de la culture dans laquelle certains enfants d’immigrés ne se reconnaissaient pas. L’Islam porte un message libérateur, il porte également un message émancipateur pour la femme et empreint de justice sociale. S’opposer aux rôles préétablis pour les filles, les femmes, et proposer une autre voix féminine dans la religion est un travail qui me préoccupe depuis mon adolescence. Plus les années passaient, et plus je me rendais compte de l’implantation solide de ces coutumes discriminantes dans les mentalités de ma communauté religieuse. C’est alors que je me suis décidée à rejoindre un mouvement de femmes musulmanes qui souhaitent amorcer le changement de l’intérieur. Elles sont toutes habitées par la conviction profonde que l’Islam est un message noble, libérateur et juste. Nous ne nous reconnaissons pas dans la répétition générationnelle. Les choses ont changé pour nous, ici, en France. D’une part discriminées par notre voile devenu symbole de l’altérité dans la société française, d’autre part, mises sous tutelle perpétuellement, nous nous positionnons vers le retour à un juste milieu et à une autodétermination. Cette autodétermination, inscrite dans la droite ligne de notre engagement spirituel, doit se penser sur tous les champs. La réforme doit permettre de repenser en profondeur nos pratiques et notre morale. Est-ce que nos croyances viennent du modèle du message du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam) ou d’un construit historico-culturel ?

Mes projets

J’entreprends un doctorat à la rentrée incha’Allah. J’aimerais me pencher sur l’articulation entre genre et Islam dans la situation postcoloniale en France. Quel poids ont les transmissions culturelles dans le modèle transmis des droits et devoirs de la femme musulmane ? Comment se transforme l’idéal de référence de la femme musulmane dans une société hostile à la visibilité religieuse et à l’absence d’instance religieuse référente ?

Par ailleurs, au niveau universitaire, je propose une lecture et une analyse alternative en ce qui concerne la capacité d’agir des femmes musulmanes françaises. J’articule ma pensée en termes de néo-colonialisme, avec une forte critique pour les termes du débat politique et médiatique, de réappropriation du corpus religieux, par une lecture antisexiste et émancipatrice initiée par les musulmanes elles-mêmes et éthique, à travers une mise en lumière des valeurs humanistes et morales qui se trouvent dans l’Islam.

Imane Magazine a publié une partie de ma réflexion sur l’éthique environnementale dans le numéro sur l’écologie et sur la particularité de l’Islam dans ce domaine. En effet, il ne suffit pas de prôner le coté précurseur du message prophétique, tout en s’en gargarisant ; il nous faut être à la hauteur d’un tel message quotidiennement, dans l’excellence de nos intentions, et dans l’effort que nous faisons pour le respecter. Dans la saga d’avril, je vais vous proposer une autre réflexion qui est celle de la vulnérabilité et plus particulièrement du handicap. Quelle place donnons-nous, quand nous ne sommes pas confrontés directement à cette réalité ? Nous ne sommes pas à l’abri de la vulnérabilité. Nous sommes tous vulnérables ontologiquement. Quel soutien trouvent les parents, les adultes dans cette situation auprès de leur communauté ? Avons-nous pensé la place des personnes en situation de handicap dans nos mosquées, dans nos actions, nos préoccupations ?