Témoignage de Kaoutar

Mon arrivée en Belgique

J’ai quitté mon Maroc natal, ma famille, mes amis, mes études, en bref ma vie pour rejoindre mon mari épousé quelques mois auparavant : débarquement en Belgique en janvier 2009 ! Pour être honnête, mon arrivée dans ce nouveau pays n’a pas été des plus faciles. Le choc et le dépaysement ont été rudes. Cadette d’une fratrie de douze enfants, je n’avais jamais connu une journée loin du tumulte et de la joyeuse animation d’une famille nombreuse. Et voilà que je me retrouvais dans ce pays lointain dont j’avais surtout pu lire sur les forums sa méfiance vis-à-vis de ma religion : mon doctorat marocain fraîchement en poche et nouvellement mariée, tous ces heureux événements ne réussirent pourtant pas à supplanter une sournoise dépression qui s’insinua peu a peu, à mesure que ma solitude et mon isolement s’installaient. L’un des moments qui me manquaient le plus, et qui me manquent toujours, c’est le rituel qui s’était instauré vers le coucher du soleil, un moment privilégié mère-fille. Goûter de rigueur avec café au lait et douceurs et surtout un moment de complicité et d’écoute durant lequel je racontais ma petite journée banale, mais où chaque mot semblait pourtant résonner en elle comme une confidence essentielle : tendresse, partage, attention. Qu’Allah azawajjal me préserve ma douce maman.

Etudiante et…enceinte !

Alhamdoulillah, mon mari a été là pour me pousser à réagir et à me dépasser : c’est lui qui m’a incité à déposer mon dossier en fac de médecine afin d’avoir une équivalence et d’intégrer directement la quatrième année (le doctorat marocain n’étant pas reconnu en Belgique). Cependant, parallèlement à ces démarches, un changement notable s’est produit dans ma vie : je suis tombée enceinte. Imaginez donc le jour de l’épreuve, un moment d’anthologie : malade à la limite du malaise ; le centre d’examen à 150 kilomètres de mon domicile ; pas de voiture mais un vieux tacot prêté par un ami de mon mari pour l’occasion ; enceinte de quatre mois et mon ventre qui me permettait déjà difficilement de me mouvoir derrière la tablette de l’amphi. J’ai voulu abandonner mais mon mari a encore été là pour m’encourager à persévérer.

J’étais tellement persuadée de mon échec que je n’ai même pas cherché à connaitre les résultats. Un ami de zawji m’a finalement appris que j’avais réussi et même avec une photo à la clé je n’y croyais toujours pas : nous étions seulement trois à être admis… Il n’y a aucun doute qu’Allah soubhanou wa ta’ala m’a aidé.

J’ai donc mené mon année autant que faire se peut, faisant ma place petit à petit, et j’ai pu la valider malgré mon accouchement alhamdoulillah. Le plus difficile pour moi a été d’être confrontée à ce milieu étudiant et au corps enseignant qui étaient aux antipodes de ma situation et de certaines de mes valeurs : j’étais l’étrangère, portant ostensiblement ma foi, mariée, enceinte, déjà docteur mais encore étudiante ; bien loin donc des préoccupations des jeunes insouciants et ambitieux qui jalonnaient l’amphi, et à contrepied des attentes de certains professeurs qui me voient comme un paradoxe vivant, émancipée par mon éducation mais prisonnière de ma religion. Puisse Allah les guider. Par ailleurs, quelques mois plus tard surprise de taille : je suis retombée enceinte ! Il a fallu encore une fois faire preuve de détermination et d’organisation car je suis dans la dernière ligne droite pour obtenir le doctorat belge et cette année est consacrée aux stages : entre les horaires à rallonge, les gardes la nuit, la gestion du foyer et des enfants en rentrant et malgré l’aide de mon mari pour gérer en mon absence, je dois avouer que je suis extenuée, dans un état de fatigue permanent sans compter la peine de ne pas pouvoir rendre visite à ma famille puisqu’en raison de mes accouchements, j’ai été « privée » une fois de plus de vacances pour faire la session de rattrapage. Après mon accouchement, la responsable m’a assené cette phrase : « pourquoi tu restes pas chez toi avec ton fils ? Reste chez toi une année ! » C’est assez difficile de subir ce genre de remarques et alhamdoulillah ma famille me soutient dans mon engagement.

Mon stage et mon hijab

J’ai choisi mon lieu de stage en fonction de leur latitude face au hijab. Mes deux premiers stages se sont effectués sans souci, je portais mon hijab comme à l’extérieur, cependant ce laps de temps était concomitant aux congés de la chef de service. A son retour elle m’a presque immédiatement convoquée, visiblement gênée, et m’a signifiée qu’une circulaire encadrait le port du hijab : à partir de ce moment là j’ai donc du porter le « voile de l’hôpital », sorte de tissu blanc à attacher en arrière et que j’associe donc à des cols roulés.

Mes plus mauvaises expériences ne sont d’ailleurs pas avec des patients, mais plutôt avec les professionnels. Leur comportement est parfois méprisant, comme si mon hijab enlevait une once de ma compétence à exercer. Certains ne me considèrent pas comme leur alter égale et je dois donc faire mes preuves deux fois plus. Concernant les patients, c’est plutôt une réserve lors du premier contact, je sens un a priori mais qui est finalement généralement rapidement balayé lorsqu’ils se sentent écoutés, respectés et rassurés Ce qui me différencie peut-être de certains soignants, c’est mon empathie, mon désir de ne pas être intrusive, et mon respect de l’angoisse et de la douleur des patients et de leur famille. Petite anecdote pour illustrer le fossé qui se creuse parfois entre moi et le reste du personnel non musulman : lors d’une réunion, on évoquait le cas d’un enfant malade d’origine turque. L’infirmière critiquait la maman en disant qu’elle était « out » en raison du Ramadan et que la prise de sang de l’enfant avait présenté un taux élevé de lipides en raison du fait « que pendant le Ramadan, « ils » lèvent les enfants à 2 heures du matin pour leur donner des frites ». Là, pas moyen de me retenir je me suis insurgée contre ces imbécilités, leur ai fait un mini-cours de religion sur le Ramadan et les personnes qui n’ont pas l’obligation de jeûner et leur ai rappelé que comme tout le monde, certains ont de mauvaises habitudes alimentaires, peu importe que ce soit (ou non) le Ramadan et que l’on soit (ou non) musulman. Ceci étant, il faut avouer que ces petites dérives sont assez anecdotiques : j’ai été agréablement surprise par la tolérance des Belges, et des Bruxellois en particulier, que je trouve remarquable compte-tenu du traitement de l’islam dans plusieurs autres pays européens. J’aimerais aussi souligner que beaucoup de non musulmans m’ont bien aidé, notamment certains profs, le secrétariat des étudiants et mon  responsable de stages. Je dois avouer aussi que je m’attendais a pire mais que alhamdoulilah jusqu’a présent tout se passe bien (ou presque…).

Malgré cette lassitude morale et physique, il est hors de question que j’abandonne : c’est un pied-de-nez à tous ceux qui croient fermement que la femme musulmane est faible, ignare et passive. Je compte d’ailleurs continuer une spécialisation en gynécologie inchAllah pour aider les femmes, et que les femmes musulmanes en particulier puissent trouver un lieu de confiance et d’écoute, où on leur portera un regard professionnel et bienveillant.

Puisse Allah nous aider dans tout ce que nous entreprenons, nous apporter le bonheur ici-bas et nous élever vers les délices du Paradis.