Dernière séquence de cette saga pour explorer le dernier continent : l’Amérique. Après l’Europe tchétchène, l’Afrique mauritanienne, l’Asie indonésienne, voici dont l’Amérique et les musulmanes des Etats-Unis.

Les Etats-Unis sont connus pour leur attachement à la religion, qui en est un des fondements. A l’inverse de la plupart des pays occidentaux – et surtout européens – la foi y est vécue de façon ouverte et décomplexée. L’islam est une religion minoritaire aux Etats-Unis (en 2010, on estime le nombre de musulmans à 2,6 millions [1] soit environ 0.8% de la population américaine) : pays constitué de nombreuses origines ethniques différentes en raison des vagues de migration successives, intéressons-nous particulièrement à l’arrivée des musulmans et à la vie des musulmanes d’aujourd’hui dans ce pays.

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L’islam aux Etats-Unis

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Les premiers musulmans américains sont quasiment oubliés, victimes silencieuses  de la barbarie. En effet, alors que l’on pense que l’arrivée des premiers musulmans est le fruit d’une immigration relativement récente, venue du Proche et Moyen-Orient (Liban, Syrie, Irak, etc.) en raison notamment des conflits récurrents, les premiers musulmans à avoir foulé le sol américain étaient bien loin de considérer cette terre comme un eldorado.

En effet, l’esclavage et la traite des Noirs d’Afrique a sévi durant environ deux siècles, portant dans ses rangs d’âmes réduites au silence de nombreux musulmans (difficilement quantifiables mais estimé à environ 10 à 20%[2]). Ils furent cependant évangélisés par leurs « propriétaires » qui d’une part étaient effrayés à l’idée d’une culture différente de la leur, vectrice de soulèvement et de rassemblement ; et d’autre part souhaitaient conforter leur position de supériorité par l’argument du divin, alléguant que la Bible donnait une prédominance de l’homme blanc sur l’homme noir.

Ce n’est que bien plus tard qu’une conscience musulmane a ré-émergé dans les communautés afro-américaines allant de paire avec une volonté viscérale de se réapproprier un passé, une culture, en bref une identité. Ce sont des mouvements comme « Nation of Islam » dans les années 30 qui ont vu naitre des figures aussi emblématiques que Malcom X. Se rapprochant plus d’une doctrine politique véhiculant certaines valeurs islamiques, ce mouvement communautaire (s’adressant uniquement aux afro-américains) est considéré comme une secte par la majorité des organisations musulmanes.

Ce retour à l’islam de certains afro-américains, les mouvements migratoires du XXème siècle (Proche et Moyen-Orient mais aussi Asie du sud comme le Bangladesh, l’Inde ou le Pakistan) et la hausse exponentielle des conversions ont conduit à une augmentation massive des musulmans au cours de ces 50 dernières années.

Apres cette genèse de l’arrivée de l’islam en terre américaine, intéressons nous plus spécifiquement aux femmes musulmanes des Etats-Unis.

Qui sont les American Muslim women ?

Comme expliqué ci-dessus, les musulmanes américaines sont diverses en raison des différentes vagues migratoires et des conversions. Il existe donc plusieurs communautés ethniques qui ont une appartenance religieuse commune mais des différences culturelles (traditions, langue, alimentation, etc.) : on trouve d’ailleurs des quartiers afro-américains, indiens, libanais, etc. Il est ainsi difficile de parler d’un type de femme musulmane aux Etats-Unis car elles évoluent souvent au sein de milieux socioculturels très différentes !

On peut en revanche parler de la femme musulmane américaine et de ses caractéristiques au sein d’un pays qui l’a façonné par son caractère frondeur, son ambition, et sa culture de la différence et de la réussite. On peut d’ailleurs lire sur un article du New York Times que « ces femmes ont atteint un niveau de réussite et une visibilité inégalée ailleurs. Elles disent qu’elles ont été façonnées par les libertés des États-Unis – en fait, beaucoup chantent ses louanges sans complexe – et par l’effervescence intellectuelle qui naît de la rencontre et de la fusion entre Américains de souche et musulmans immigrés. »[3]

Par ailleurs ces femmes ont réellement pris leur destin en main, en cherchant à atteindre un niveau d’excellence et en gagnant  un rôle dans toutes les sphères de la société, aussi bien civile que religieuse, où elles sont à des fonctions de direction. « Elles sont plus instruites que leurs homologues en Europe occidentale, mais aussi que l’Américain moyen, selon un sondage Gallup réalisé en Mars 2009. […] Et Gallup a révélé que les femmes musulmanes américaines ont souvent l’esprit entrepreneurial et parviennent, plus que les  femmes des autres confessions, à approcher les fonctions généralement dévolues aux hommes. »[4]  Les évènements du 11 septembre 2001 ont par ailleurs conduit les musulmans, hommes et femmes, à s’impliquer dans la vie de la société pour faire connaitre l’islam et contrer le rejet islamophobe qui découle de la peur irrationnelle d’une religion, que souvent les Américains ne connaissaient pas.

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A l’image de l’ensemble de la population américaine, la femme musulmane  peut donc être ce qu’elle a l’ambition de devenir. Jugée sur ses compétences et les atouts qu’elle peut apporter à la société, elle peut amener son savoir-faire dans le domaine qu’elle désire. Les Etats-Unis font des spécificités de chacun une force et ne catégorisent pas leurs citoyens – tous actifs productifs potentiels – selon leur ethnie ou leur religion, en témoigne leur devise inscrite dans la Constitution « E pluribus unum » signifiant « De plusieurs, un seul »

La vie made in USA

Education, associations, loisirs ou vie professionnelle sont ainsi facilités.

Quelques exemples ?

• Zaytuna College est la première université musulmane aux Etats-Unis. « On compte aujourd’hui mille six cents mosquées au États-Unis. Trois cents écoles islamiques à plein temps dont vingt-trois écoles supérieures, trois universités (l’une via internet) »[5]

 

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• Bridges TV est une chaine de télévision pour les Américains musulmans

• Ouvrir des créneaux de piscine pour femmes n’est pas un souci aux Etats-Unis

• Les Etats-Unis et leur gouvernement jugent sévèrement les lois liberticides européennes anti-voile/voile intégral/etc.

• Les Etats-Unis encouragent grandement l’implication dans une ou plusieurs associations,  et en particulier chez les jeunes pour qui les activités extrascolaires sont déterminantes pour leur dossier scolaire. Les musulmanes ne sont pas en reste et créent de nombreuses associations (à visée spirituelle,  pédagogique, interconfessionnelle, humanitaire, culturelle, etc.)

• Certaines universités proposent une palette de menus, dont halal, permettant de satisfaire tous leurs étudiants

Témoignage

Pour donner l’opinion réaliste d’une femme musulmane qui est allée deux mois aux Etats-Unis dans le cadre de ses études, Hanane a accepté de nous livrer son témoignage et ses impressions sur les particularités de la vie d’une femme musulmane aux Etats-Unis.

« J’ai véritablement connu deux sœurs. Les autres je ne les ai croisé qu’une seule fois. Cependant ce que je peux dire c’est que les sœurs sont très investies dans leur développement personnel. Mubarakah par exemple est coach sportif. Elle est active dans la société. Organise des sessions pour les femmes musulmanes comme « Bermudes Fit Muslimah » qui est une semaine intensive de sport exclusivement destinée aux sœurs sur une île paradisiaque. Les sœurs sont ravies quand elles peuvent y participer. Les frères sont « funny » comme dirait ma fille, qui trouve les papas muslims de France plus réservés. Elle a apprécié la manière dont ils l’ont mise à l’aise et l’ont intégrée à leur famille. Mubarakah est l’exemple de la muslima qui sait concilier ses responsabilités avec ses propres rêves. Les sœurs que j’ai rencontré sont toutes actives, elles ont une véritable démarche communautaire: école privée, enseignement de qualité, activités culturelles au sein de la mosquée, co-voiturage, etc.

La vie change effectivement beaucoup par rapport à ici. Alors dans le nord des Etats-Unis (car le Sud est connu pour être plus raciste) les femmes travaillent avec le hijab. A la question que j’ai posée à une infirmière rencontrée à la mosquée: « Est-ce que tu travailles avec ton voile? Elle ouvre de grands yeux en me disant: « Il (patron) n’aurait pas envie d’avoir un procès aux fesses! » Même ma coach sportif travaillait avec le hijab. Le hijab n’est pas un frein là-bas. Pour les prières, je n’ai rien remarqué de particulier qui diffère de la France. Le halal n’est pas dans le cantines car là-bas, les enfants amènent leur repas et dans les écoles publics où les repas sont offerts, il y a du végétarien pour contenter tout le monde. Mais le système de lunch box est le plus connu. Les femmes peuvent réserver la piscine, ce que fait souvent la coach que je connais. Du coup elle fait des week-ends sportifs muslims avec des espaces distincts. Les mosquées sont conçues comme des lieux de partage. Si tu vois une grande mosquée comme celle de Strasbourg, c’est plutôt rare. Cependant l’esprit y est beaucoup comme lieu de prière, de recueillement et de partage. »


[1] Sondage de l’Association of Religion Data Archives
[2] A Century of Islam in America, par le Dr. Yvonne Y. Haddad
[4] idem
[5] Schbley Ayla, « Musulmans d’Amérique », Outre-Terre, 2003/4 no 5