Témoignage de S.

Voici mon histoire. Disons que je m’appelle Léa. J’ai la vingtaine, je suis jeune et je suis reconvertie à l’islam depuis un sacré bout de temps. Je suis étudiante à la fac, je prends des cours d’arabe à côté, j’essaye de m’investir pour la communauté à ma micro-échelle, et je vis ma vie comme une jeune fille normale. À force de discussions avec ma famille, être musulmane, manger halal, prier 5 fois par jour et porter le voile est devenu banal. Grâce à Dieu, certains membres de ma famille ont même embrassé l’Islam. Ils ont vu à travers les livres posés sur ma bibliothèque ô combien l’islam est une religion qui apporte la paix, la sérénité… Une religion universelle qui s’adresse à tous, même à eux qui étaient à des années lumières de ce message divin.

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Au départ,

l’islam nous était « étranger » 

Pourtant rien ne semblait prédisposer ma famille à accepter l’islam. En effet, petites, nous allions plusieurs fois par mois dans les musées, les lieux culturels, les cirques, les ballets, les théâtres, les bibliothèques parisiennes, les parcs et autres loisirs. Nous avions beau nous cultiver, nous ne pensions pas une seule seconde à l’islam. Pour nous c’était « la religion des Arabes » et nous n’étions pas Arabes. Nous partions tous les étés dans une région différente de la France, la Bretagne, la Bourgogne, le Sud… Nous ne pratiquions rien, mais nous croyions tout de même en Dieu. Puis par Sa bonté infinie, Allah nous a ouvert les portes de l’islam et nous essayons chaque jour de le pratiquer comme il se doit et de mieux comprendre la noblesse de cette religion.

Une culture familiale de la tolérance

Aujourd’hui, grâce à Dieu, ma mère qui a grandi et évolué dans le christianisme jusqu’à ses 46 ans me sort des ahadiths lorsque j’ai le moral au plus bas. Toute contente elle vient me voir dans ma chambre pour me raconter un des passages qu’elle a lu dans la Sirâ du prophète Sallâ Allahu ‘aleyhi wa salam… Ma châ Allah quelle ouverture d’esprit a ma maman ! Nous avions aussi des amis de la famille d’origine maghrébine (ils sont toujours des amis très proches d’ailleurs). Jamais ma mère n’a eu de préjugés sur eux, ni sur personne d’autre d’ailleurs. Notre famille est tellement mélangée qu’on en oubliait les origines exactes de chacun. Pour nous tout le monde était logé à la même enseigne, nous n’avions aucune attache avec nos pays d’origines (celui de mes grands parents qui ont émigré jeunes en France). Tout le monde était de nationalité française, donc Français, et quelque chose d’autre, une origine… qui n’avait pas beaucoup d’importance d’ailleurs, mais qui était une très grande richesse.

Face à face avec la réalité  

Puis… il y a moi. Moi qui ai hérité de tout cela, de cette mentalité, de cette ouverture d’esprit… Comme toute jeune fille (du moins je crois), j’abordais avec mes copines, mes soeurs fillah d’amour, la question du mariage. Le M A R I A G E, ce fut l’électrochoc qui m’a fait sortir de mon monde de Bisounours. C’est comme si j’avais mis les doigts dans une prise, ou que je m’étais réveillée brutalement d’un doux rêve. En effet c’est en parlant aux soeurs, de propositions en propositions ; en apprenant les critères des uns et des autres que je me suis rendue compte de mon invisibilité. Tout d’un coup, j’étais devenue une indésirable, une personne invisible, sans intérêt, « in-mariable » dirais-je, si ce n’est avec des personnes auxquelles je suis prétendument censée ressembler en raison de ma couleur de peau, donc des Noirs…

Musulmane ?

Oui, mais Noire avant tout !

ET OUI ! Mince, j’avais oublié… je suis Noire. Noire comme le chocolat, et ça apparemment on n’en veut pas dans sa famille, surtout si on est une femme… SobhanALLAH, à de nombreuses reprises, mon profil a correspondu à des personnes et lorsque ces dernières ont appris que j’étais Noire, elles ont fait 3 bonds en arrière jusqu’à disparaître de la circulation. Une fois, une soeur m’a parlé d’un frère que je connais de vue. Elle me le décrit très bien et elle me dit ce qu’il cherche, ce qu’il fait dans la vie, comment il est. Puis elle me dit que « tout est parfait, il s’en fiche des origines de toute façon ». Sur le coup, je m’étonne (à moitié) alors je lui réponds  » Vraiment? Tiens donc… voyons voir, même si la personne est noire ? « . Elle me répond que oui,  » Se moquer des origines ça veut bien dire ce que ça veut dire ! « . Ne la croyant pas sur parole, je lui conseille de demander à son mahram si « se moquer des origines » inclut la possibilité de se marier avec une Noire. 

Peu de temps plus tard, j’apprends que  » se moquer des origines, ça veut dire une Maghrébine (peu importe si elle est Algérienne, Marocaine, ou Tunisienne). Cela veut aussi dire une ouverture pour les Libyennes, Égyptiennes, ou Arabe du Moyen-Orient. Cela veut aussi dire, une Turque, une Européenne de l’Est ou de l’Ouest peu importe… Une métisse à la rigueur, allez soyons fous ! TOUT (pour ainsi dire), sauf une soeur française qui a la peau noire. 

La ronde des préjugés

Pourquoi sobhan’Allah ? J’ai pensé à la famille. Oui c’est vrai cela peut être dur, mais cela se surmonte, beaucoup de soeurs maghrébines ont un mari noir. Ses goûts personnels ? Apparemment la personne n’est pas obsédée par un style de beauté et trouve des femmes noires jolies…. Alors… Alors quoi ? J’ai posé la question aux soeurs de mon entourage (en majorité des Maghrébines). Je ne sais pas si nous détenons enfin la réponse à ce mystère mais selon elles : c’est une question de honte, le regard des gens serait un poids tellement lourd à porter qu’il dicterait les choix de certains hommes. Aussi il y aurait tout un lot de préjugés sur les femmes noires qui les empêcheraient de contracter un mariage mixte comme beaucoup d’hommes noirs le font. On me dit aussi que les frères auraient peur qu’une soeur Noire ne sache pas cuisiner comme une Arabe (bizarre… pourtant pleins de soeurs Blanches non-arabes le font, y aurait-il un gène de la réussite culinaire ?). On dit aussi que les Noires sont moins soignées, moins coquettes que les Blanches (ah… décidément les gênes sont en notre défaveur, on ne connaît ni la douche ni les produits de beauté et bien sûr la mode, la déco et l’esthétisme ne nous intéressent pas!!)… 

On dit, on dit, et on  RE-dit, tellement de choses ignobles, stupides et incroyables qu’on en est venues à se poser des questions avec Oummi. Oui, jamais nous n’avions été discriminées parce que nous étions « café au lait » ou « chocolat »… Alors QUOI ?  Les musulmans seraient-ils aussi racistes que les non-musulmans, voire pire, alors que c’est Allah le Créateur de toutes choses ? Sobhanaa ALLAH… Dorénavant, c’est comme si je n’étais plus Léa. Non je suis juste une « kehloucha » (ça sonne comme un gros mot, n’est-ce pas?). Et bien sûr c’est « hchouma » d’être avec une « kehloucha » peu importe sa culture, sa personnalité, sa beauté, ce qu’elle est… c’est une kehloucha alors khalas, arrêtons-nous là ! 

Alors pourquoi selon vous chers Imanettes et I-men ? Pourquoi la femme française, noire, voilée et musulmane est si souvent méprisée, invisible, réduite à un lot de préjugés dans lesquels elle semble être prisonnière ? 

Fraternellement, S.