Apres avoir expliqué le rôle des écoles juridiques dans l’islam et les raisons de leur création  débutons notre saga sur les imams fondateurs par celui qui est à la genèse de l’école la plus ancienne – l’école hanafite – Abu Hanifa rahimahullah.

Abu Hanifa an-Nu’man ibn Thabit serait né en l’an 700 à Koufa en Irak, haut-lieu commercial, cosmopolite et culturel sous la dynastie des califes musulmans. Abu Hanifa, originaire d’une famille de marchands, se lance à son tour dans le commerce de la soie dont il tirera de confortables revenus. Issu d’une famille pieuse, il a été sensibilisé aux sciences depuis sa plus tendre enfance et sa vivacité d’esprit a rapidement été décelée. Peu enclin à la rhétorique théologique abstraite, il a rapidement eu l’ambition d’étudier la religion à la lumière du droit. C’est ainsi qu’il deviendra pendant 18 ans le disciple de Hammad ibn Abu Soulayman, célèbre juriste irakien, mais aussi d’innombrables savants et érudits qui formeront son esprit critique et renforceront son savoir au gré de ses pérégrinations. La mort de son mentor en fit la personnalité religieuse la plus éminente de Koufa et c’est lui qui dirigea son cercle d’études, une assemblée d’élaboration et d’enseignement du fiqh. Il n’a pas écrit de livre à proprement parler mais on trouve de nombreux ouvrages qu’il dicta à ses nombreux disciples.

Au cœur de nombreuses pressions politiques et religieuses, Abu Hanifa resta toujours droit, intègre et constant dans ses pensées, ses paroles et ses actes, s’attirant ainsi l’ire des notables à plusieurs reprises. En témoigne sa triste mort : Al-Mansour, calife abasside, testa la fidélité d’Abu Hanifa à plusieurs reprises et le fit venir à Bagdad. Il avait la volonté de le nommer Qadi (juge/magistrat musulman), ce qu’Abu Hanifa refusa de façon répétée. Humilié et excédé Al-Mansour le fit emprisonner : torturé et flagellé, « le grand imam » rendit son dernier souffle peu de temps après avoir subi ces mauvais traitements, à l’âge de 70 ans.

Emergence de l’école

L’époque d’Abu Hanifa était marquée par une multitude de sources, de textes, de récits mais sans réelle traçabilité et auxquels commençaient à s’insinuer des rites ayant trait aux coutumes et aux traditions plus qu’à la religion. An-Nadir Ibn Shumayl, grammairien et exégète, dira :  » Les gens étaient endormis, négligeant le Fiqh, jusqu’à ce qu’Abu Hanifa les réveilla par ce qu’il a expliqué et exposé ».  Sa doctrine a été le moyen de créer une pratique harmonieuse, raisonnée, fondée sur les sources de droit et de générer une unité cultuelle et rituelle entre les musulmans.

Une méthodologie particulière

Abou Hanifa était un homme de dialogue et les problématiques juridiques et religieuses étaient débattues avec ses élèves, de sorte que chacun puisse exprimer de façon équitable son opinion. De cette propension à la discussion a certainement résulté la méthodologie particulière d’analyse et de déduction pour apporter une solution aux questions religieuses, le Qiyas. Le maddhab hanafite est en effet celui qui s’est le plus servi de ce procédé, les autres l’ayant utilisé avec parcimonie car le jugeant trop subjectif. L’imam dira :  » Je prends le Livre d’Allah lorsqu’il contient la réponse, sinon, je prends la Sunna du messager d’Allah, paix et bénédiction d’Allah sur lui, si je ne trouve pas dans la Sunna, je prends l’opinion de ceux que je veux parmi ses compagnons, et je laisse celles de qui je veux, je ne laisse leur opinion au profit de celle d’autres personnes, et lorsque l’on en vient à l’opinion d’Ibraham, Ash-Sha`bi, Al-Huss, Ibn Sirin ou Sa`id Ibn Al-Musayyab, alors je recours à l’Ijtihad comme ils l’ont fait« . Cependant, derrière cette apparente souplesse se cachent en réalité des critères draconiens pour élaborer des jugements. Par ailleurs, outre ses prouesses d’esprit déployées pour répondre à des questions précises, son ingéniosité était sans pareil pour imaginer d’innombrables cas de figure potentiels. En fin juriste, il avait en effet perçu la complexité inimaginable de la jurisprudence et a ainsi profusément amplifié le domaine du droit.

Expansion de la doctrine hanafite

La doctrine hanafite est particulièrement utilisée dans les pays non-arabophones : on la trouve dans les régions asiatiques à l’est de l’Iran (Chine, Afghanistan. Tadjikistan, Pakistan, Inde, Bengale, Bangladesh) ; au Proche Orient (Turquie, Jordanie, Syrie, Irak) ; en Europe de l’est (Bosnie, Albanie, Kosovo, Caucase, Balkans, etc.).

Ce maddhab se répandit surtout grâce à Abu Yussuf, un disciple d’Abu Hanifa, qui occupa la fonction de Qadi qu’avait refusée son maitre, faisant ainsi de l’école hanafite l’école officielle de cette dynastie et permettant par conséquent de diffuser largement cette doctrine.

Reconnu par ses pairs pour sa piété, sa vertu, ses qualités et son intelligence, l’imam Abu Hanifa rahimahullah a enclenché une profonde réflexion sur le droit musulman. D’autres grands savants suivront ainsi ses traces pour créer leur propre système juridique. A suivre…