Le constat est sans appel.
Sur le papier, pourtant, tout était parfait. Vous aviez toutes les compétences pour assurer ce job.
Forte de vos nombreux diplômes et qualifications, l’employeur vous avait appelée à la réception de votre CV, heureux d’avoir trouvé la perle rare, celle qui siérait au mieux à ce poste.
Confiants tous les deux, vous aviez tout de même convenu d’un entretien rituel afin de finaliser les choses en beauté.

Sûre de vous, vous vous étiez rendue à l’entretien, votre CV soigneusement plastifié sous le bras, certaine que le tour était presque joué. Enfin, vous alliez faire le job de vos rêves, concrétiser toutes ces années d’études durant lesquelles vous aviez bossé d’arrache pied, atteignant la reconnaissance dûment méritée.
Seulement voilà, une fois arrivée à l’entretien, votre large sourire confiant avait fini par se crisper.
Devant vous, le patron à qui vous aviez parlé au téléphone et qui semblait pourtant tout enjoué affiche une mine dubitative.
Un sourire crispé, lui aussi. Un peu embarrassé, il vous regarde à la dérobée. Il n’en fallait pas plus, vous avez compris.


À nouveau, c’est lui qui dérange,

lui qui fait tâche,

lui qu’on pointe du doigt.

Lui qu’on ne comprend pas,

lui qu’on dénigre,

lui qu’on rejette.

Lui qu’on accuse de tous les maux.

Lui qui fait peur et qu’on déteste sans même savoir ce qu’il représente, quelle est sa signification, la noblesse de son origine.


Alors, bien sûr, tout n’est pas encore perdu mais vous savez déjà, en votre for intérieur, que même si vous obtenez ce poste, ce sera sans votre fidèle compagnon. On vous demandera, à nouveau, de faire un choix : ce sera lui ou le job.


Vous finissez l’entretien, la mine défaite, vous avez perdu votre belle assurance. Vous connaissez d’ores et déjà la suite : on ne vous laissera pas travailler si vous n’acceptez pas de vous défaire de votre identité.
Si vous osez réclamer, demander votre droit, vous imposer, on vous dira :

« Mais quoi ? Ce n’est qu’un bout de tissu après tout ! N’en fais pas tout un monde ».


Hmm. Et si l’on demandait à ces mêmes personnes de se présenter au travail sans leur casque de sécurité, sans leurs chaussures, sans – au fond – ce qui leur est essentiel au quotidien – que répondraient-elles ?
Nous sommes lasses de répéter, de dénoncer, de subir. Mais puisqu’il le faut, nous allons à nouveau le faire :

Le voile n’est pas un simple accessoire, il est une partie de notre identité. Bien sûr qu’il ne fait pas tout ce que l’on est car il n’est qu’un moyen pour nous d’atteindre une finalité : l’amour divin. Mais en tant que tel, il représente notre engagement de femme. Il représente notre force, la force incroyable que chaque femme porte en elle : celle de refuser le règne des apparences, le culte du corps, l’hypersexualisation, la marchandisation de la femme, la promotion de la débauche… Celle de s’imposer en tant qu’esprit avant son corps. Celle de rester maître d’elle-même et de son image.


Fondamentalement, c’est ce qui les horrifie dans la femme voilée : son impossible manipulation, l’inaccessibilité de son corps, le fait qu’elle se dérobe au regard. Et chacun sait que le regard est une forme de prison pour l’autre, qu’il l’encercle et le pénètre, le rend sien et le tue à petits feux. Une femme voilée ne subit la domination de personne; au contraire, elle s’extirpe des carcans dans lesquels la société souhaite l’enfermer : toujours plus mince, toujours plus maquillée, toujours plus artificielle et vide.

Le regard des gens, en tant que femmes voilées, on a l’habitude de le supporter mais doit-on, pour autant, s’y plier ? S’y soumettre en altérant une partie de notre identité ?
C’est ce que l’on nous demande chaque matin avant d’entrer dans l’enceinte de l’établissement où chacune d’entre nous travaille.


Nous représentons toutes ces femmes qui souffrent de devoir se désidentifier et nous voulons que cela change.


Kerima, du compte « La plume de Keri »

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