Suite de la saga sur les quatre grands imams et leurs écoles juridiques : succédant à Abu Hanifa, découvrons maintenant la vie exceptionnelle de l’imam Malik.

Abou Abdillah Malik ibn Anas ibn Malik al-Humayrî al-Asbahi al-Madani est né en 93 de l’hégire à Dhou al-Marwah (au nord de Médine). Il grandit dans un foyer baignant dans le savoir du hadith, notamment avec son grand-père Malik ibn Abi ‘Amir, un grand érudit parmi les Tabi’oun (Successeurs).

Acquisition d’un savoir inégalable

Après avoir mémorisé le Coran, Malik se consacra à la science du hadith qui était largement rpandue à Médine, berceau du savoir prophétique.

Sa mère fut très impliquée dans son éducation religieuse, elle eut l’intelligence de l’envoyer chez le savant Rabi’a ibn Abdirrahman duquel il apprit la jurisprudence interprétative, appelée « fiqh al-ray’ ». Il s’initia ainsi au droit canonique, et perfectionna son savoir de la tradition prophétique (Sounna) auprès des meilleurs maîtres médinois de son époque. Selon l’imam al-Nawawi, il eut 900 professeurs, dont 300 Tabi’oun, dont le distingué Ibn Hourmouz al-A’raj, Nâfi’ (l’esclave affranchi d’Ibn ‘Umar – radhiAllahou‘anhoum), Yahyâ ibn Sa’îd al-Ansârî le juge de Médine, etc. Toutes ces sommités inculquèrent à Malik les meilleures valeurs morales et religieuses dont attesteront plus tard ses élèves.

Malik transmet son savoir

Après une enfance studieuse, on rapporte qu’il commença à enseigner dès l’âge de 17 ans dans la mosquée du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam). Ses cercles attirèrent très vite de nombreux étudiants de différentes contrées de l’empire musulman.

Yahya ibn Yahya al-Laythi, alors âgé de 28 ans, voyagea depuis l’Espagne musulmane pour étudier auprès de Malik à Médine. Un jour, lors d’un cercle d’apprentissage, quelqu’un cria : « Il y a un éléphant ! ». Tous les élèves sortirent le voir car c’était rare à Médine, excepté Yahya. « Pourquoi ne sors-tu pas avec les autres, il n’y a pourtant pas d’éléphants dans ton pays ? », lui demande Malik.

Le jeune étudiant lui répondit : « Je ne suis pas venu d’Espagne pour voir des éléphants mais pour apprendre auprès de toi la religion de Dieu et de Son Prophète » (salaLlahu ‘alayhi wa salam). C’est ainsi que l’imam Malik le surnomma « ‘Aql al-Andalous » (l’esprit de l’Andalousie).

Il vouait énormément de respect aux paroles du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam). Ainsi, il est rapporté qu’avant chaque assise, il faisait ses ablutions, portait ses plus beaux habits et se parfumait, puis il s’asseyait avec respect et humilité envers les paroles bénies qu’il allait transmettre. A cet égard, l’Imam Abdoullah Ibn al-Moubarak (rahimahoullah), un éminent savant contemporain de Malik, raconte : « J’étais chez l’imam Malik alors qu’il nous récitait des ahadith et j’ai remarqué qu’un scorpion le piquait, et ce à 16 reprises. Lui, changeait de couleur, devenait jaune, mais n’interrompait jamais le hadith du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam). Lorsqu’il eût terminé et que les gens furent partis, je vins lui dire : « ‘Abou ‘Abdillah, j’ai vu de vous ce qui était absolument étonnant aujourd’hui ! ». Il me répondit: « Oui, j’ai persévéré par respect pour les paroles du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam) ».»

Il fit le choix surprenant d’épouser une esclave pour laquelle il avait beaucoup d’estime. Il eut avec elle trois fils (Muhammad, Hammad et Yahya), et une fille appelée Fatima. Cette dernière connaissait le Mouwatta (recueil de l’imam Malik) par cœur et était plus éruditesque ses frères. Elle participait aux cours de son père en se tenant derrière la porte sur laquelle elle frappait lorsqu’un élève se trompait. Son père Malik demandait alors à l’étudiant de reprendre le passage où il s’était trompé.

Principes du malikisme :

La principale particularité de cette école est l’attachement à la Sounna telle qu’elle a été transmise par les grands savants médinois. Malik est donc le lien entre la communauté musulmane et le savoir du hadith. Il avait la certitude que les habitants de Médine étaient les plus connaisseurs du hadith, et ne voyait donc aucune utilité de voyager à la quête du savoir.

Son œuvre majeure s’intitule Al-Mouwatta (la voie aplanie), elle est le fruit d’un travail de pas moins de quarante années, afin de ne recueillir que les ahadith les plus authentiques avec des transmetteurs de qualité. Comme son nom l’indique, ce recueil se veut un exposé clair de la jurisprudence islamique avec les narrations prophétiques les plus authentiques, d’après les habitants du Hijâz, les paroles des Compagnons, celles des Successeurs et ceux après eux. Cet ouvrage reflète la pensée du malikisme dont voici quelques principes :

  • l’analogie (qiyas), l’effort d’interprétation (ijtihad), et le consensus (ijma) qui caractérisent les 4 écoles ;
  • la pratique des Médinois : l’opinion des savants de Médine constitue une source de droit compte tenue de l’importance sacrée de cette ville ;
  • l’intérêt général de la société ;
  • la préférence juridique. C’est une exception à la règle pour éviter un mal ou pour une nécessité. (Malik se base par exemple sur le cas du calife ‘Umar ibn al-Khattab qui avait suspendu le châtiment du voleur en temps de famine) ;
  • la prévention des moyens qui peuvent entraîner un mal ;
  • la législation de nos prédécesseurs ;
  • les us et coutumes (le malikisme accorde une grande importance aux coutumes d’une société s’ils ne contredisent pas la loi divine) ;
  • prendre en considération la divergence.

Ces principes furent enseignés jusqu’aux confins du monde islamique, par la volonté d’Allah et grâce à la diversité de ses étudiants. Al-Laythi, par exemple, enseigna le malikisme en Andalousie,  Ali ibn Ziyad (m. 183 H), jurisconsulte tunisien, fut le premier à l’introduire en Afrique du Nord, d’autres en Egypte, au Soudan etc.

Témoignages

  • Le Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam) évoqua la prédominance de l’imam Malik avant même la naissance de ce dernier. Dans une narration recueillie par l’imam al-Tirmidhi, il dit : « Les gens vont aller très loin avec leurs montures et ils ne trouveront quelqu’un de plus érudit que le Savant de Médine ».
  • Ses élèves furent tous profondément marqués par cette sommité de savoir et sa noblesse de caractère. L’imam al-Shâfi’i affirma : « Malik est mon maître, il m’a inculqué le savoir. Nul n’a été plus doux que lui à mon égard. Je fais de lui mon avocat auprès d’Allah. Lorsque l’on parle des érudits n’importe où dans le monde, Malik est parmi eux l’unique étoile étincelante, grâce à sa mémoire infaillible, sa maîtrise des sciences, et ses qualités humaines » (Tartib al-Madârik, 1/75).
  • La douceur évoquée par al-Shâfi’i se révélait également lors de ses débats avec ses détracteurs. Il répondit à l’un d’entre eux : « Nous considérons notre opinion comme juste sans exclure la probabilité d’erreur, et la vôtre est fausse sans exclure la possibilité que ayez raison ».

Cette citation résume très bien l’ouverture d’esprit inculquée par les 4 écoles juridiques : ne pas vouloir à tout prix imposer son jugement aux autres.